[article] Titre : | Allez les Verts ! | Type de document : | texte imprimé | Auteurs : | Frédéric Denhez, Auteur | Année de publication : | 2022 | Article en page(s) : | 65 | Langues : | Français | Résumé : | Yannick Jadot a été élu de peu, et voilà Europe Écologie Les Verts (EELV) prêt pour la campagne présidentielle. La bataille n’a pas été facile car EELV est un parti hétéroclite, sorte de Parti socialiste grande époque en plus agité, où l’on discourt beaucoup, avant tout pour régler la musique entre les courants. Le reste du temps, on dit non, on dénonce, on rappelle l’allégeance aux dogmes établis et on appelle au grand chambardement qui seul pourra tout changer, parce que c’est ainsi. S’il reste encore cinq minutes, on se demande comment tout de même on fera pour que les gens suivent. Ça, c’était l’habitude qu’a outrepassée Jadot en adoptant une posture réellement politique : plutôt que des grands discours, des mots qui parlent, à la place du Grand Soir étouffant, des propositions qui laissent de l’espoir, celle des compromis.
Malgré tout, Jadot a eu du mal à aspirer tout son mouvement derrière lui, parce que celui-là est affligé d’une formidable lourdeur. EELV est une machine à repérer les marginaux pour nourrir son discours antisystème. Ainsi le wokisme, le racialisme, l’écoféminisme et autres étrangetés doctrinales sont-ils apparus par la simple arrivée dans le mouvement de jeunes urbains très diplômés, à l’écoute de ce qui se passe dans les universités américaines. Relayés par Sandrine Rousseau, ils ont créé une nouvelle ligne de force dans le mouvement écologiste : non seulement il faut abattre le capitalisme pour sauver le monde mais, en plus, il s’agit désormais de mettre par terre l’emprise des mâles, des blancs, du monde occidental. À l’extrême droite et en partie à droite, c’est le tout immigration ; à l’extrême gauche et pour la moitié des Verts, c’est la domination. De quoi faire rêver l’électeur qui se pense juste citoyen de la République.
Derrière des programmes assez proches, il y a en réalité deux visions très différentes du monde entre les jadotistes et les rousseauistes (le barbarisme n’est pas vain), entre des gens qui pensent que le fauteur de dégâts est d’abord économique et d’autres pour lesquels il est d’essence raciste et sexiste. N’y a-t-il pas quelque chose d’impossible à prétendre réunir des écologistes pour qui la planète va mal à cause de l’appât du gain et du plaisir immédiat avec d’autres qui affirment que, si la Terre est violée, c’est en raison même que des femmes sont violées et que des Noirs ont été mis en esclavage ? Cela semble d’autant moins probable que les études montrent invariablement le même profil : la très anxieuse génération des « millénials » avoue une demande d’autorité, de sécurité, d’interdictions, de restrictions ; elle ne place pas en premier pilier de notre démocratie la liberté d’expression, ni même la laïcité, car il ne faut blesser quiconque, ni altérer le statut de victime et, surtout, puisque la catastrophe menace, il faut prendre des décisions fermes pour protéger la planète. Déconstruire plutôt qu’agir. La Chine, ce n’est peut-être pas si mal ? Après tout, la démocratie a accouché de Trump.
Comment Jadot va-t-il faire pour concilier la raison et l’émotion ? Le pragmatisme et l’obsession ? L’action et l’indignation ? Je ne sais pas. Mais je lui souhaite de réussir.
Sur quel programme ? Il y avait du bon dans les deux tendances. Chez Rousseau, par exemple, l’orientation de l’épargne populaire vers les investissements durables, la suppression des forfaits qui encouragent la surconsommation et la gratuité des premiers mégawattheures et mètres cubes consommés. Chez Jadot, nettement plus solide, la TVA à 0 % pour les produits recyclables, la création d’une école des services publics ou d’une union franco-allemande sur les questions d’écologie ou de défense. Chez les deux, toujours les mêmes manques : on sanctuarise la biodiversité, les forêts, les rivières, sans expliquer de quelle façon ; on sort du nucléaire sans raconter comment on démultiplie les éoliennes, la biomasse et le solaire dont personne ne veut ; on prône un statut juridique pour les animaux et on hisse le crime d’écocide plutôt que de faire appliquer les lois existantes. Pas un mot sur les sols, clé de voûte de notre adaptation au futur, pas un mot sur le foncier, sans lequel on ne peut agir sur l’étalement urbain.
En tout cas, les Verts, avant leur scission probable, sont au centre du jeu politique. Ce n’est pas si mal, mais ça risque de faire long feu.
| En ligne : | https://www.revue-etudes.com/article/allez-les-verts-23866 | Permalink : | http://bibliothequeucm.educassist.mg/opac_css/index.php?lvl=notice_display&id=56 | in Etudes > N°4287 (Revue mensuelle) . - 65
[article] Allez les Verts ! [texte imprimé] / Frédéric Denhez, Auteur . - 2022 . - 65. Langues : Français in Etudes > N°4287 (Revue mensuelle) . - 65 Résumé : | Yannick Jadot a été élu de peu, et voilà Europe Écologie Les Verts (EELV) prêt pour la campagne présidentielle. La bataille n’a pas été facile car EELV est un parti hétéroclite, sorte de Parti socialiste grande époque en plus agité, où l’on discourt beaucoup, avant tout pour régler la musique entre les courants. Le reste du temps, on dit non, on dénonce, on rappelle l’allégeance aux dogmes établis et on appelle au grand chambardement qui seul pourra tout changer, parce que c’est ainsi. S’il reste encore cinq minutes, on se demande comment tout de même on fera pour que les gens suivent. Ça, c’était l’habitude qu’a outrepassée Jadot en adoptant une posture réellement politique : plutôt que des grands discours, des mots qui parlent, à la place du Grand Soir étouffant, des propositions qui laissent de l’espoir, celle des compromis.
Malgré tout, Jadot a eu du mal à aspirer tout son mouvement derrière lui, parce que celui-là est affligé d’une formidable lourdeur. EELV est une machine à repérer les marginaux pour nourrir son discours antisystème. Ainsi le wokisme, le racialisme, l’écoféminisme et autres étrangetés doctrinales sont-ils apparus par la simple arrivée dans le mouvement de jeunes urbains très diplômés, à l’écoute de ce qui se passe dans les universités américaines. Relayés par Sandrine Rousseau, ils ont créé une nouvelle ligne de force dans le mouvement écologiste : non seulement il faut abattre le capitalisme pour sauver le monde mais, en plus, il s’agit désormais de mettre par terre l’emprise des mâles, des blancs, du monde occidental. À l’extrême droite et en partie à droite, c’est le tout immigration ; à l’extrême gauche et pour la moitié des Verts, c’est la domination. De quoi faire rêver l’électeur qui se pense juste citoyen de la République.
Derrière des programmes assez proches, il y a en réalité deux visions très différentes du monde entre les jadotistes et les rousseauistes (le barbarisme n’est pas vain), entre des gens qui pensent que le fauteur de dégâts est d’abord économique et d’autres pour lesquels il est d’essence raciste et sexiste. N’y a-t-il pas quelque chose d’impossible à prétendre réunir des écologistes pour qui la planète va mal à cause de l’appât du gain et du plaisir immédiat avec d’autres qui affirment que, si la Terre est violée, c’est en raison même que des femmes sont violées et que des Noirs ont été mis en esclavage ? Cela semble d’autant moins probable que les études montrent invariablement le même profil : la très anxieuse génération des « millénials » avoue une demande d’autorité, de sécurité, d’interdictions, de restrictions ; elle ne place pas en premier pilier de notre démocratie la liberté d’expression, ni même la laïcité, car il ne faut blesser quiconque, ni altérer le statut de victime et, surtout, puisque la catastrophe menace, il faut prendre des décisions fermes pour protéger la planète. Déconstruire plutôt qu’agir. La Chine, ce n’est peut-être pas si mal ? Après tout, la démocratie a accouché de Trump.
Comment Jadot va-t-il faire pour concilier la raison et l’émotion ? Le pragmatisme et l’obsession ? L’action et l’indignation ? Je ne sais pas. Mais je lui souhaite de réussir.
Sur quel programme ? Il y avait du bon dans les deux tendances. Chez Rousseau, par exemple, l’orientation de l’épargne populaire vers les investissements durables, la suppression des forfaits qui encouragent la surconsommation et la gratuité des premiers mégawattheures et mètres cubes consommés. Chez Jadot, nettement plus solide, la TVA à 0 % pour les produits recyclables, la création d’une école des services publics ou d’une union franco-allemande sur les questions d’écologie ou de défense. Chez les deux, toujours les mêmes manques : on sanctuarise la biodiversité, les forêts, les rivières, sans expliquer de quelle façon ; on sort du nucléaire sans raconter comment on démultiplie les éoliennes, la biomasse et le solaire dont personne ne veut ; on prône un statut juridique pour les animaux et on hisse le crime d’écocide plutôt que de faire appliquer les lois existantes. Pas un mot sur les sols, clé de voûte de notre adaptation au futur, pas un mot sur le foncier, sans lequel on ne peut agir sur l’étalement urbain.
En tout cas, les Verts, avant leur scission probable, sont au centre du jeu politique. Ce n’est pas si mal, mais ça risque de faire long feu.
| En ligne : | https://www.revue-etudes.com/article/allez-les-verts-23866 | Permalink : | http://bibliothequeucm.educassist.mg/opac_css/index.php?lvl=notice_display&id=56 |
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